À l’ère du numérique où la majorité des graphistes utilisent le pixel plutôt que des techniques plus traditionnelles, Evelin Kasikov utilise, elle, un outil bien connu de nos grand-parents : le point de croix.
Les images, mais surtout les typographies qu’elle génère grâce à cette technique traditionnelle sont tramées en CMJN, comme lorsqu’on observe une trame de magazine au compte fil. C’est lors de ses recherches autour de son projet de diplôme au St. Martins College de Londres qu’elle a adopté cette technique. Elle mêle avec habilité une technique ancienne, traditionnelle et faite main aux technologies modernes.
Evelin Kasikov commence toujours sur ordinateur. Elle réalise tout d’abord l’image qu’elle a en tête avec l’aide de Photoshop, sépare les couleurs, et passe l’image en demi-teinte en fonction des angles de la trame : cian 105°, magenta 75°, jaune 90° et noir 45°. Une fois cette étape effectuée, elle divise les 4 tons de l’image et les prépare pour les points de croix en redessinant les points des demi-tons. Pour cela, elle a préparé des points de croix numériques de plusieurs densités. L’image est finalement imprimée en couleurs “allégées”, et les croix marquent les points à coudre. L’artiste utilise des frusques de coton de différente densité en couleurs CMJN pour réaliser ses ouvrages. L’intensité des couleurs dépend du nombre de brins utilisés. Une petite pièce peut demander plusieurs jours de travail.
La technique d’Evelin Kasikov soulève naturellement la question du retour au fait main et de la matière dans cette ère de numérisation. L’empreinte qu’appose la typographie en plomb sur le papier, la qualité d’impression de la sérigraphie, la dorure, le gaufrage, le “fait main” dans toutes ses formes est devenu de plus en plus populaire, et pas seulement dans les écoles de design. En témoigne le succès du site Etsy, une plateforme marchande à l’image d’Ebay, qui permet aux individuels et petites structures de vendre des produits artisanaux directement au consommateur. Selon un article du site web Techcrunch, Etsy proposait en 2010 plus de 6,7 millions de produits à la vente.
Evelin Kasikov explique que les anciennes technologies “récusent et influencent l’utilisation des nouvelles technologies. La plupart des projets passionnants naissent au croisement des deux”. Utiliser de concert technologies traditionnelles et nouvelles technologies permettrait le renouvellement de l’artisanat, et un regain de créativité dans les métiers d’art. De plus, le retour à ces techniques traditionnelles questionnent également le développement durable et le recyclage. La mode éthique : faire et réparer plutôt que jeter.
Le travail de cette graphiste est selon moi une belle façon de faire perdurer une technique traditionnelle et sensible, tout en ne reniant pas les outils proposés par les nouvelles technologies.
Magazine Étapes, n°175, Éditions Pyramyd, décembre 2009, p.56/64
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